Portrait d'Alain-Serge Porret
VP Systèmes intégrés et sans fils, CSEM Neuchâtel Né en 1971 Habite à Neuchâtel
Parcours en bref
Alain-Serge est né à la Béroche. Il étudie à l’école d’ingénieur du Locle puis se rend à Lausanne pour un doctorat dans le domaine des systèmes intégrés à très basse consommation. En 2000, il quitte la Suisse et rejoint une start-up de la Silicon Valley. Il passe treize années aux Etats-Unis. Il enchaîne les expériences de start-upeur, notamment avec Xceive, spécialisée dans le domaine de la télévision numérique. L’entreprise comptera jusqu’à 70 collaborateurs avec de gros clients tels que LG, Samsung ou encore Panasonic.
En 2013, il rejoint le CSEM, plus particulièrement le département des systèmes intégrés, alors en plein essor. En effet, les technologies sans fil à basse consommation se dessinent progressivement comme le standard du futur.
Actuellement, son département est au cœur des challenges liés à l’Internet des Objets (IoT). Le but fixé : produire des capteurs sans fil, autonome en énergie, capables de récolter des données et de les traiter localement. Interview.
Quels sont les défis d’un monde structuré par l’IoT ?
En 2018, l’information est relayée du capteur jusqu’au cloud sans forcément être triée. Beaucoup de données sont donc stockées de manière automatique, sans qu’un usage concret soit imaginé en amont. Cela engendre plusieurs challenges :
- Plus la quantité de données à transmettre est importante, plus les besoins en énergie sont grands. Il est donc important que seules les données pertinentes soient transmises. Cela nécessite que le capteur comprenne les données qu’il reçoit ainsi que l’environnement dans lequel il se trouve. Concrètement, pour les capteurs de vision, l’enregistrement vidéo génère des gigas de données. S’il est utilisé pour paramétrer le chauffage ou la climatisation d’une pièce par exemple, le système a uniquement besoin de connaître le nombre de personnes présentes dans la pièce. Il faut donc être capable d’affiner « l’intelligence » du capteur placé sur la caméra afin qu’il sélectionne cette information et l’envoie sur un serveur. Grâce à cette approche, il est possible d’obtenir une installation légère et sans fil, qui consomme peu d’énergie.
- La protection des données des personnes est également un challenge. Dans l’exemple précédent, il est difficilement concevable qu’une caméra filme des personnes en permanence. Il est primordial de fragmenter les informations récoltées et d’envoyer sur le serveur uniquement le bout d’information qui permettra au système d’être déclenché.
- Enfin, dans le monde industriel, les questions de confidentialités sont extrêmement importantes. Dans le cas de maintenance prédictive sur une chaine de production robotisée, le fabriquant du robot doit avoir accès uniquement aux données qui lui permettent de le réparer et non à celles qui renseigneraient sur la vitesse ou la qualité de la production. En traitant localement l’information, son transfert est non seulement limité mais permet également d’échapper aux réseaux des GAFA qui captent actuellement beaucoup plus de données qu’il n’est nécessaire de leur transmettre.
Au final, ce qui est passionnant dans les projets IoT, c’est de devoir combiner différentes technologies : système de télécommunication, processeurs à basse consommation, algorithmes d’intelligence artificielle qui ont besoin de peu de ressources, portabilité des capteurs.
Quel but ultime cherchez-vous à atteindre technologiquement ?
Il y a 20 ans est né un terme qui me fait toujours rêver : le « smart dust » ou poussière intelligente.
Cela consiste à faire des composants tellement petits, peu coûteux et peu consommateurs d’énergie qu’ils ressembleraient à de la poussière. Les technologies sont de plus en plus matures pour y parvenir. On pourrait imaginer une caméra intelligente qui s’aliment sur la lumière ambiante et qui prend la forme d’un autocollant. Elle pourrait surveiller une personne âgée dans son appartement et envoyer une alerte lorsqu’aucun mouvement n’a été perçu depuis plusieurs heures. À nouveau, l’image ne sortirait pas du capteur mais uniquement l’alerte.
Je dis que les technologies sont bientôt prêtes car actuellement nous arrivons déjà à créer ces systèmes intelligents en intégrant certains paramètres de la poussière intelligente. Nous avons travaillé récemment sur des bornes d’incendie intelligentes qui sont interconnectées sans fil. Dans certains pays, jusqu’à 60 % de l’eau est perdue à cause de fuites sur le réseau. Cela prend beaucoup de temps de s’en rendre compte. Ces bornes intelligentes arrivent à détecter les fuites en analysant le bruit de l’eau. Cela permet de creuser directement au bon endroit. Dans ce projet, la taille des capteurs était peu importante. A contrario, sur des implants médicaux, le paramètre minuscule est primordial, alors que le coût l’est moins.
Que pensez-vous de l’écosystème d’innovation dans la région neuchâteloise ?
Nous avons la chance d’avoir des compétences en microtechnique qui s’appliquent à l’industrie « traditionnelle » de la région mais pas seulement. Neuchâtel pourrait se positionner plus fortement dans le domaine médical où le petit, précis et fiable est primordial. Pour l’IoT, je dirais que les possibilités d’innovation sont infinies. Il faut juste avoir la bonne idée. Par contre, notre approche de l’innovation doit se verticaliser afin d’avoir accès à l’ensemble de la chaine de valeur, du capteur au serveur. C’est indispensable également pour améliorer les produits grâce au traitement des données récoltées sur les capteurs.
Enfin, je pense que l’effort pour soutenir les PMEs dans leurs projets d’innovation doit encore être intensifié à tous les niveaux, y compris le canton. Elles doivent également être aiguillées pour se digitaliser et mettre en place les processus digitaux qui leur rapportent de la valeur. Le challenge « Digital Journey » du CSEM a permis d’ouvrir le dialogue avec les PME sur cette thématique. Et Microcity SA en 2019 sera une structure clé pour remplir cette fonction.
Vlad Magdalin