Portrait de Ghorbel Hatem
Originaire de Tunisie, Hatem Ghorbel a obtenu sa thèse de l’EPFL où il s’est familiarisé avec la théorie du langage au sein du laboratoire d’informatique théorique. Il est spécialisé dans l'étude des fondements logiques et mathématiques de l'informatique. Egalement professeur à la HE-Arc de Neuchâtel depuis 2004, il est responsable du groupe « Analyse de données ». Il pratique régulièrement la natation et apprécie énormément la proximité de la nature et du lac.
Originaire de Tunisie, Hatem Ghorbel a obtenu sa thèse de l’EPFL où il s’est familiarisé avec la théorie du langage au sein du laboratoire d’informatique théorique, spécialisé dans l'étude des fondements logiques et mathématiques de l'informatique. Professeur à la HE-Arc de Neuchâtel depuis 2004, il est responsable du groupe « Analyse de données ». Il pratique régulièrement la natation et apprécie énormément la proximité de la nature et du lac.
Rencontre avec un chercheur qui sait faire le lien entre les données et le monde industriel.
Quelles sont les principales compétences de votre groupe à la He-Arc ?
Nous travaillons sur 3 types d’activités interconnectées et basées sur l’intelligence artificielle appliquée. Il s’agit de l’analyse de données, du Machine Learning et de l’optimisation.
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste l’analyse de données ?
Quand nous parlons d’analyse de données, nous avons d’un côté les données textuelles, il s’agit des documents numériques (Textes, PowerPoint, pdf, etc.) et de l’autre, les données numériques qui proviennent du web ou de divers dispositifs technologiques (internet, réseaux sociaux, etc.).
Notre but principal est de découvrir et extraire des connaissances de ces documents en appliquant les techniques de classification et les modèles linguistiques.
Nous travaillons sur l’extraction de mots-clés pour essayer de filtrer le contenu et garder ce qui nous intéresse. Lors de l’utilisation d’un moteur de recherche, le défi consiste à pouvoir donner des résultats informatiques pertinents à une requête. Comprendre l’intention et le contexte du texte reste aujourd’hui la partie la plus compliquée à « traduire ».
Nous travaillons beaucoup dans le domaine médical en analysant des milliers de publications scientifiques, afin d’identifier, par exemple, de nouvelles associations plausibles entre une molécule de médicament et une protéine du corps. C’est équivalent à plusieurs scientifiques qui font un brainstorming ensemble. Je vous donne un exemple très simple du quotidien : le paracétamol est utilisé pour la douleur, or la douleur est souvent associée avec de la fièvre donc peut-être que le paracétamol pourrait être utilisé contre la fièvre.
Pour le moment, il s’agit d’un projet de recherche, que nous avons déjà publié. Le projet a été initié par Novartis, mais la collaboration n’a pas pu aboutir. Nous espérons trouver une collaboration avec une entreprise du canton. Le domaine biomédical peut aujourd’hui être fait à partir des connaissances des textes, des documents internes, des rapports techniques, etc.
Il n’est pas facile aujourd’hui de rendre ce modèle générique à travers les différentes industries. En effet, lorsque l’on passe de la MedTech à la construction par exemple, le vocabulaire associé à la description d’un problème n’est pas le même. Toutefois, les dernières technologies de Transfert Learning offrent des pistes d’exploration intéressantes à travers les modèles de langage de la famille BERT.
Quel est le secteur d’application du Machine Learning et la contribution de votre groupe dans cette activité ?
Le Machine Learning s’applique aussi au secteur industriel. Le but est d’analyser de grands volumes de données pour fournir des éléments d’aide à la décision permettant l’optimisation des processus et l’anticipation des défauts non planifiés. Aujourd’hui, grâce aux nombreux capteurs installés sur la machine (pression, température, consommation de courant, etc.), il est possible de corréler un signal et un événement, à condition d’avoir un algorithme qui fasse le lien. C’est l’effort réel de la machine qui est pris en compte et la pièce est changée uniquement lorsque c’est nécessaire, ce qui permet d’économiser des frais de maintenance.
Les algorithmes que nous développons se basent sur des analyses, mathématiquement des séries de données temporelles, qui sont des mesures de processus d’un phénomène à travers le temps d’opération. Ces algorithmes nous permettent de trouver des solutions automatiques au contrôle de la qualité et la détection d’anormalités. Parfois, ce comportement anormal n’est pas directement perçu par un humain. Nous arrivons à faire un contrôle qualité de façon plus performante et rapide et nous avons l’expérience dans le domaine des machines-outils.
Nous avons également participé à plusieurs projets comme par exemple dans des centrales nucléaires pour détecter des anormalités, dans des stations d’épuration ou encore d’incinération, etc.
Comment les entreprises vous contactent-elles ?
Il y a une forte cohésion entre l’industrie et l’académie qui s’est renforcée encore ces dernières années via le tissu économique régional.
L’école d’ingénierie est connue par les entreprises qui nous contactent directement ou bien passent par le service de l’économie du canton qui fait le lien entre nous.
L’Optimisation est la dernière activité principale de votre groupe, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
On peut rencontrer des difficultés à optimiser un processus. Je vais prendre l’exemple d’un robot qui prend des pièces sur un plateau roulant et qui doit les déposer dans un autre endroit. Imaginez qu’il y ait des conditions pour prendre une pièce, car toutes les positions de cette pièce ne sont pas prenables. Donc après analyse, nous savons qu’il faut faire vibrer le plateau pour pouvoir mettre la pièce en position prenable. Nous devons donc trouver quelle est la bonne caractéristique de vibration de la pièce et du plateau qui maximisera le nombre de pièces prenables sur le tapis pour que le robot ne s’arrête pas. Le robot a une caméra qui va chercher la pièce en position prenable. Si l’image n’est pas conforme, il ne la prend pas. A la base, il s’agit d’un problème mécanique et notre but est de trouver le bon paramètre pour pouvoir optimiser le processus. Il faut d’abord comprendre le fonctionnement et le processus pour chaque domaine. Pour chaque projet, nous nous rendons sur le site pour comprendre le mécanisme, la machine, l’aspect mécanique, ce qui nous permet de prendre en compte les paramètres nécessaires.
La collecte des données au sein de l’entreprise est-il un enjeu sensible ?
Oui c’est sûr. La perte de données due à des attaques reste un enjeu majeur. Les données sont sur des serveurs internes, car les entreprises manquent de confiance envers le Cloud.
Avant de récolter les données, nous créons des scénarios avec les entreprises, afin de s’assurer que la donnée récoltée sera de qualité et permettra de répondre à la question que l’on se pose.
Nous sommes encore à un stade où nous ne mélangeons pas les données entre entreprises. En effet, nous avons besoin de connaître le processus de chaque entreprise pour pouvoir interpréter les données.
Vos partenaires sont-ils des entreprises cantonales ?
Nous avons beaucoup de partenaires dans le canton et surtout dans le domaine de la machine-outil. Nous travaillons avec Mikron, Tornos, L’hôpital de la Providence, NOMAD, Johnson & Johnson, etc. Nous faisons partie du projet interne Mill (MicroLean Lab). C’est un très grand projet qui regroupe plus de trente entreprises. Une micro-usine qui est capable d’accueillir des « apps », des technologies de fabrication, d’assemblage et de contrôle. Cette micro-usine est configurable à souhait en fonction de ce qui doit être produit. La voie ouverte par la Micro5 rend l’usinage plus autonome avec moins d’interventions humaines.
Quels sont vos défis actuellement ?
Le défi principal pour mon groupe c’est de continuer à développer des projets Innosuisse dans le domaine de l’IA. Ce sont des projets qui nous donnent des possibilités de faire de l’innovation. Nous sommes dans un domaine où, tous les jours, il y a de nouveaux algorithmes qui apparaissent et pour faire de l’innovation, nous avons besoin d’un cas concret appliqué et de partenaires sérieux. Nous avons réalisé plusieurs projets avec des partenaires de la région, ce qui nous a permis d’acquérir de l’expérience et de la maturité pour pouvoir rapidement résoudre des problèmes de manière innovante, surtout dans les domaines des machines-outils et de la MedTech. C’est un vrai défi de créer de la valeur en donnant du sens aux données.
Que pensez-vous de notre écosystème ?
Nous recevons beaucoup d’invitations de collaborations de la part du canton ce qui est une très bonne chose.
Je pense qu’il faut renforcer encore le réseautage qui existe déjà. Je trouve que le premier pas est difficile à franchir pour les entreprises qui veulent innover, pourquoi ne pas envisager de les aider à réaliser leur premier projet d’innovation, cela permettrait de booster encore plus notre écosystème.
Vlad Magdalin