Portrait de Sébastien Brun
Parcours en bref
Sébastien Brun a grandi dans le Val-de-Ruz. Son parcours illustre plutôt bien le concept du « lifelong learning ». Grâce à un CFC en mécanique automobile effectué à Bienne en 1998, il acquiert une vision pratique des problématiques industrielles. Cette vision, il l'utilisera tout au long de sa carrière. Deux ans plus tard, il passe son brevet en électromécanique à Yverdon qu’il complète avec un Bachelor d’ingénieur en microtechnique à la HE-Arc Neuchâtel. Engagé comme assistant de recherche à la suite de son diplôme, il se spécialise dans l’analyse des matériaux. Lors de cours qu'il donne aux étudiants Bachelor lui vient une idée qui lui permettra de résoudre un problème récurrent dans de nombreux secteurs industriels et lancer sa start-up: le vieillissement des colles. Interview.
Quels ont été les éléments déclencheurs qui ont permis d’imaginer coller sans colle ?
Lorsque je travaillais à la HE-Arc, section ingénierie en tant qu’analyste, je réalisais de nombreuses analyses physico-chimiques sur les matériaux. J’enseignais notamment la technologie de la liaison anodique aux élèves de Bachelor. Très utilisée en micro-électronique, elle consiste à assembler une plaquette (wafer) de silicium sur du pyrex. Les deux matériaux sont mis en contact et soumis à un champ électrique. Le tout est ensuite chauffé à haute température, permettant ainsi la mobilité des ions dans la matière, phénomène accentué par le champ électrique. Ce besoin de chauffer à très haute température est limitant car il engendre la modification des matériaux chauffés qui peuvent en effet passer d’un état solide à liquide par exemple.
Parallèlement, je savais que de nombreux secteurs industriels – horlogerie, aérospatial, microélectronique – rencontraient des problèmes avec le vieillissement des colles et leur détérioration. En effet, des machines de très haute précision perdaient en qualité car les colles utilisées pour les construire se désagrègent naturellement avec le temps et l'environnement dans lequel évoluent les produits. En plus de cela, ces colles altèrent les matériaux avec lesquelles elles sont en contact. Un exemple classique est celui de de l’acier inoxydable dont les propriétés chimiques de surface sont altérées.
C’est donc grâce à l’enseignement et à mes connaissances des problématiques industrielles que je j’ai réalisé qu’il y avait une nouvelle technologie à développer, en l’occurrence l’Impulse Current Bonding.
Comment fonctionne l’Impulse Current Bonding que propose SY&SE et quelles sont les étapes que vous avez dû suivre pour monter votre start-up ?
Si l’on peut parler de chronologie de l’innovation, une fois que j’ai eu mon idée, il a fallu trouver des partenaires industriels, ce qui a été assez rapide dans mon cas. La HE-Arc est devenu le partenaire académique de ce projet, ce qui nous a permis de déposer un projet Innosuisse. Cette agence suisse pour l’encouragement de l’innovation finance les projets menés entre une entreprise et un partenaire de recherche. Ce financement nous a permis de travailler pendant plus de deux ans avec 20 chercheurs. Comme la technologie n’existait pas du tout, les premiers mois ont été laborieux. Nous avons finalement convergé vers une solution que nous pensions être de l’anodic bonding amélioré. Le nom a été changé car les mécanismes physico-chimiques sont en fait vraiment différents. L’Impulse Current Bonding permet de travailler dans un environnement à 150 °C, température à laquelle les ions ne devraient pas migrer de façon aussi spectaculaire. Les matériaux restent donc dans un état solide. Du coup, pour faire bouger les atomes ou les ions, de l’énergie supplémentaire est nécessaire. Cette dernière qui est principalement électromagnétique et non pas thermique, est amenée par un système complexe produit dans des réacteurs développés par SY&SE.
Réacteur d'un spectrophotomètre à rayons X (XPS) capable d'analyser chimiquement les surfaces à l'échelle du nanomètre.
Ces derniers viennent, par impulsions électromagnétiques spécifiques, focaliser l'énergie aux interfaces. Ainsi, les ions peuvent migrer non pas à 500 °C mais à 150 °C. Grâce à cette technologie, des liaisons covalentes sont obtenues. Ces dernières sont les forces interatomiques les plus puissantes existant dans la nature. Ce type de liaison se retrouve dans le diamant par exemple. Leur grand avantage : elles sont fortes et ne s’altèrent pas avec le temps.
Une fois ce nouveau procédé mis en place, nous avons déposé les brevets, avec l’aide de partenaires régionaux, spécialisés en propriété intellectuelle. Puis nous avons construit le premier réacteur, devenant ainsi concrètement les sous-traitants de la liaison pour les industriels horlogers, d’où la nécessité à ce moment-là de créer SY&SE. La start-up a dû racheter les brevets au partenaire industriel pour finalement commencer les activités commerciales en janvier 2018. L’emplacement de Neode au Crêt du Locle était idéal pour SY&SE car située à proximité de la HE-Arc et de l’industrie horlogère.
Même si notre innovation s’est concentrée sur l’horlogerie, l’intérêt pour l’Impusle Current Bonding provient de secteurs très variés : le biomédical, l’industrie du laser, le secteur des télécommunications. Tous doivent répondre au besoin de créer des liaisons stables entre des métaux et des céramiques.
Mécanicien sur voiture, puis ingénieur à la HE-Arc ingénierie, et enfin fondateur d’une start-up dans l’incubateur Neode, vous avez su tirer parti d’acteurs complémentaires dans le domaine de la formation, par ailleurs membres de Microcity. Pourquoi un pôle d’innovation est-il important à vos yeux pour la région neuchâteloise ?
Le canton de Neuchâtel regroupe une densité académique et industrielle impressionnante. De l’apprentissage au doctorat, les formations dispensées sont excellentes. Par exemple, les jeunes qui sortent de la filière automation au CPLN sont capables de répondre de manière précise à des thématiques complexes. Cette capacité de former à un très haut niveau dès l’école professionnelle est un atout unique de la Suisse. Or sans communication et collaboration, il est difficile d’atteindre l’excellence ou de monter des projets. À cet égard, le pôle d’innovation Microcity peut permettre de faciliter les contacts entre les différentes institutions.
Vlad Magdalin