Portrait de Simon Henein
Professeur associé en microtechnique à l’EPFL Titulaire de la Chaire Patek Philippe et directeur du Laboratoire de conception micromécanique et horlogère (INSTANT-LAB) Né en 1973 Habite à Neuchâtel
Parcours en bref
Simon Henein nait à Genève puis passe son enfance en Egypte, au Caire, jusqu’à ses 18 ans. Il revient alors en Suisse pour étudier à l’EPFL tout en profitant de découvrir d’autres horizons grâce à une année d’échange à Pittsburg aux USA. Il enchaîne avec une thèse sur la conception des guidages flexibles appliqués à la robotique. Le but : remplacer les articulations des machines où les pièces frottent ou roulent entre elles, par des articulations « élastiques » faites d’une seule pièce et capables de fléchir comme des ressorts.
À 27 ans, thèse en poche, il est engagé au CSEM où il applique ses compétences dans des projets spatiaux et astronomiques, notamment avec l’agence spatiale européenne. Puis il est engagé à l’Institut Paul Scherrer (PSI) en Argovie. À la tête d’une équipe de six personnes il y réalise des bancs expérimentaux pour de nombreux chercheurs PSI, ce qui lui permet d’acquérir une grande expérience pratique. Il participe entre autres à l’équipement des lignes de lumières du synchrotron SLS, un accélérateur de particules servant à la production de lumière pour l’étude de la matière. En parallèle il reste très impliqué dans l’enseignement, une constante dans sa carrière.
De retour à Neuchâtel en 2006, il réintègre le CSEM. En 2012, il est nommé à l’EPFL, suite à la création de la chaire Patek Philippe dont les recherches soutiennent le monde horloger tout en jouissant sans restriction de la liberté académique. Il nomme son laboratoire l’INSTANT-LAB : Laboratoire de conception micromécanique et horlogère. Aujourd’hui l’équipe est composée de 18 personnes : doctorants, post-doctorants, collaborateurs scientifiques et techniciens.
Quels sont les projets développés à l’INSTANT-LAB ?
La spécificité notre laboratoire est de travailler sur de nouveaux concepts mécaniques plutôt que sur de nouvelles technologies de fabrication. À titre d’exemple, le projet phare IsoSpring introduit un nouveau concept d’oscillateur mécanique qui transforme radicalement le mouvement des montres et horloges mécaniques qui n’ont conceptuellement pratiquement pas changé depuis le 19e siècle. Grâce à cet oscillateur doté d’un mouvement unidirectionnel continu, nous avons conçu des horloges dénuées d’échappement. Cette invention permet d’envisager des montres bracelet mécaniques plus précises et dotées d’une autonomie de marche bien plus grande qu’actuellement.
Nous sommes également actifs dans l’instrumentation médicale, domaine très proche de l’horlogerie de par les technologies et le tissus industriel impliqués. À titre d’exemple, le projet SPOT, Safe Puncture Optimized Tool for retinal vein cannulation, porte sur la conception d’un mécanisme à guidages flexibles fabriqué en verre qui permet d’effectuer un geste chirurgical très délicat sur la rétine, au fond de l’œil humain. Il s’agit d’insérer, par un mouvement rapide, une aiguille dans une veine et d’y injecter un liquide pour dissoudre des occlusions causant des troubles de la vue. Le projet est réalisé en collaboration et des chirurgiens de l’œil ainsi qu’avec l’industrie.
Crédit photo : INSTANT-LAB
Donc vous travaillez sur des projets dans d’autres domaines que l’horlogerie ?
Oui, car de nos jours, tout système (micro)mécanique est équipé de capteurs, actionneurs, et d’électronique. Seule l’horlogerie reste exclusivement mécanique. ll était donc indispensable que l’équipe soit impliquée sur d’autres projets que l’horlogerie afin que le laboratoire reste compétitif au niveau de ses compétences. Nous sommes particulièrement à l’aise avec les projets pour l’industrie médicale. En effet, le lien entre les deux industries est logique : elles ont besoin d’un niveau similaire de précision, de qualité et souvent de miniaturisation.
En plus des projets de recherche, vous êtes très impliqué dans l’enseignement ?
En effet, je trouve extrêmement enrichissant d’enseigner, même si les efforts nécessaires pour délivrer un contenu de qualité aux étudiants est important. Je suis chargé d’une classe de 140 étudiants à Lausanne – cursus microtechnique – pour lequel huit assistants de l’INSTANT-LAB sont impliqués pour encadrer les élèves. De plus, j’ai lancé cette année un nouveau cours dans le programme sciences humaines et sociales intitulé « Improgineering », où les processus créatifs sont discutés et comparés, entre le monde de l’ingénierie et des arts-improvisés. Le cours a abouti à une très belle présentation publique des étudiants sur la scène du Centre d’art scénique à Lausanne.
Pour moi, ce cours est très important car il permet de se concentrer sur le facteur humain et tente de répondre à la question de la création collective. D’après mon expérience, ces aspects sont fondamentaux pour la recherche et la réussite des projets. Dans mon laboratoire, je ne veux pas que les collaborateurs exécutent mes ordres. Je dois leur donner une indépendance suffisante pour que les projets puissent avancer, même si je ne suis pas là. C’est l’un des grands défis d’un directeur scientifique.
Comment l’INSTANT-LAB profite-t-il de sa localisation dans le canton de Neuchâtel ?
À l’EPFL, antenne neuchâteloise, nous mettons sur pieds de nombreux projets industriels. Pour ma part, j’apprécie ce type de projets où l’interlocuteur a un besoin réel et une application concrète. Comme nous travaillons dans l’horlogerie, nos clients sont situés à proximité. Nous essayons de collaborer au maximum avec les autres instituts de recherche de la région et les sous-traitants lorsque nous avons besoin de pièces.
Nous apportons également une grande attention pour que la chaire soit intégrée dans la région. Par exemple, lors de la rénovation de l’hôtel de ville à Neuchâtel, nous y avons installé l’une de nos horloges, en décembre 2016.
Crédit photo : Chloé Felix
Cela a été une belle opportunité d’aller au contact de la population et de créer un lien avec la culture locale. L’intérêt était incroyable car presque chaque neuchâtelois a une personne de son cercle familial qui a travaillé dans l’horlogerie. Une autre de nos horloges a été exposée au Musée International d’Horlogerie dans le cadre d’une exposition sur la pendule neuchâteloise et y a suscité également un grand engouement.
Vlad Magdalin